Le phénomène des pluies acides

Dès la fin des années 70 les premiers symptômes de dépérissement forestier ont été observés dans le Nord-Est de l’Europe (Scandinavie, France, Allemagne), en Europe Centrale et dans le Nord des Etats-Unis, et ceci en particulier sur les résineux (jaunissement et perte des aiguilles, réduction de la croissance racinaire…). Ces phénomènes ont été rapidement mis en relation avec une augmentation de l’acidité des pluies. En effet, le développement et l’intensification des activités industrielles et domestiques (circulation automobile, chauffage…) se sont accompagnés d’une nette amplification des rejets gazeux comme le SO2 et les NOx qui génèrent alors des acides forts (H2SO4, HNO3) et donc des protons dans les phases atmosphériques. L’augmentation des concentrations en sulfates, nitrates et protons s’est poursuivie jusqu’au début des années 80 avec des pH d’eaux de pluie pouvant atteindre 3.5.

Le phénomène des pluies acides a interpellé la communauté scientifique et des programmes de recherche ont alors été développés en Europe et aux USA. Leurs objectifs étaient d’étudier les dépôts atmosphériques acides, d’établir les bilans d’éléments et de comprendre les phénomènes de dépérissement forestier et d’acidification des eaux de surface. Ces travaux portaient notamment sur des études et des observations de sites naturels comme des bassins versants* touchés par ces phénomènes (Hubbard Brook, USA ; Bear Brook, USA ; Plynlimon Catchment, UK ; Krycklan Catchment, Suède ; Bassin Versant du Strengbach, France…). L’échelle de ces petits bassins versants d’étude (généralement de l’ordre de 1 km2) permettait de définir des sites monolithologiques dont il était possible de bien caractériser l’ensemble des compartiments (atmosphère, hydrosphère, biosphère, lithosphère), d’établir des bilans hydrologiques et géochimiques, et de développer des études pluridisciplinaires…

L’observation du milieu naturel

Le fonctionnement d’un milieu naturel est complexe car il résulte d’une combinaison de facteurs physiques, biologiques et chimiques et parce qu’il évolue dans le temps étant soumis à des forçages qui peuvent être naturels ou anthropiques (tectoniques, climatiques, pollutions diverses). Depuis plusieurs décennies, les scientifiques sont confrontés à l’identification et la compréhension des perturbations liées à l’activité humaine (augmentation des rejets en gaz comme CO2, SO2, NOx, COV, CFC, augmentation des radiations UV et des concentrations en ozone, augmentation des températures, pollutions des eaux par les effluents, utilisation des terres agricoles, aménagement du territoire, acidification des pluies, des eaux de surface, des sols …).

Parmi ces variations, les changements climatiques actuels (les modèles climatiques prévoient une moyenne de 6°C d’augmentation en France pour la période 1900 à 2100) risquent de perturber fortement l’environnement et en particulier les processus d’altération. Ceci va se traduire par des modifications dans les mécanismes de formation des sols et d’acquisition de la physico-chimie des eaux de surface, ainsi que dans le rôle de la biosphère (végétation, micro-organismes…) dans les transferts d’éléments. Les phénomènes d’acidification des dépôts atmosphériques (pluies, brouillards, aérosols secs) bouleversent eux aussi fortement le fonctionnement du milieu naturel, en particulier dans les zones de montagnes sur socles pauvres (granites, grés), et ont eu pour conséquences une acidification des sols et des eaux de sources, des eutrophisations de lacs et/ou des phénomènes de dépérissement de la végétation.

Le développement des recherches sur le bassin versant du Strengbach

C’est dans le contexte d’un programme européen : DEFORPA (Dépérissement FORestier attribué à la Pollution Atmosphérique) que les recherches et les expérimentations sur le bassin versant du Strengbach (site forestier de 10 ha localisé dans un massif vosgien du département du Haut-Rhin), ont été initiées en 1986 par B. Fritz et B. Ambroise. Ce bassin représente actuellement le site d’étude de l’OHGE.

Depuis 25 ans les paramètres climatiques, hydrologiques et géochimiques y sont enregistrés en continu. Le bassin versant du Strengbach représente ainsi un des plus anciens sites en climat tempéré et sur socle granitique suivi en France et dans le monde.

Trois laboratoires ont collaboré sur ce projet : le Centre de Géochimie de la Surface CGS-ULP-CNRS de Strasbourg, le Centre d’Etude et de Recherche Eco-Géographique CEREG-ULP-CNRS de Strasbourg et le Centre de Recherche Forestier CRF-INRA de Nancy. Trois chercheurs (A. Probst du CGS, D. Viville du CEREG et D. Dambrine du CRF) sous la co-responsabilité de B. Fritz (CGS) et de B. Ambroise (CEREG) ont entrepris de développer et de pérenniser une surveillance sur le bassin versant du Strengbach par la constitution de réseaux de prélèvements et de mesures (suivi des retombées atmosphériques régionales, collecte de données météorologiques et hydrologiques, prélèvements des eaux de surface).

 

* Un bassin versant est une aire délimitée par des lignes de partage des eaux, à l’intérieur de laquelle toutes les eaux tombées alimentent un même exutoire : cours d’eau, lac, mer, océan, etc. Le bassin versant, dont les contours sont souvent définis par les lignes de crêtes, représente donc l’aire de collecte des précipitations.